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Revue de web ; au milieu du XIXe siècle le paternalisme industriel…

28/10/2015 - 01/01/2017 | Privé : Les Actus de RéMuT

Domaines

Vie quotidienne

  • Écrit par  Raymond BIZOT
  • mardi 27 octobre 2015 10:00
  • source : http://www.lamarseillaise.fr/culture/patrimoine/42915-le-paternalisme-industriel
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Retour sur les premiers pas de l’industrie « à la papa ».

Les premiers ouvriers viennent de l’agriculture et sont souvent ouvriers-paysans. Puis, les industries se spécialisent, demandant une main d’œuvre toujours plus nombreuse et de plus en plus qualifiée.Pour le patronat, le problème est d’attirer des ouvriers et de fidéliser la main d’œuvre qui a été formée.Au milieu du XIXe siècle, une partie du patronat s’aperçoit de la misère ouvrière et développe une politique sociale. Au départ de cette prise de conscience, il y a l’impact du rapport Villermé – qui sera à l’origine des premières lois sur le travail des enfants – et le tableau très noir dressé par l’armée sur la santé des conscrits issus du monde ouvrier. En outre, les barricades de 1848 vont effrayer la bourgeoisie.

Les ouvriers ne mangent pas à leur faim et vivent dans des taudis. Face à ces conditions de vie, des patrons redoutent la montée des idées socialistes et les révoltes. Ils craignent également des lois sociales de la part de l’Etat.

Pour eux, il est impératif de supprimer une des principales causes de révolte en fournissant des logements.La première solution trouvée est de construire de véritables casernes – de grands bâtiments peu fonctionnels – qui seront abandonnées dès 1845, comme « foyer d’immoralité, de rébellion et de criminalité ».

Dans les années 1860 apparaissent les quartiers de petites maisons identiques et juxtaposées – les corons – et les cités formant de longs bâtiments parallèles.Le logement est considéré comme une récompense pour la qualité du travail fourni, il est attribué après une enquête morale.

Dans ce système paternaliste, l’ouvrier devient dépendant de l’entreprise. On estime moralement souhaitable qu’une personne décide à la place d’une autre, pour son bien. Le patron est censé se conduire comme un père pour ses employés. C’est un système prévu pour infantiliser les subordonnés.

A la répression systématique, on préfère un modèle qui légitime un rapport de force. Il s’agit d’un “patron éclairé”, humain, un véritable père pour ses ouvriers. On dira qu’il assume ses “devoirs de père” envers “ses enfants salariés” qui lui doivent obéissance.Dans ce système de dépendance qui combine assistance et soumission, le patron doit, par-dessus tout, développer le sens moral grâce à la religion. Le système qui se développe dans l’industrie et les mines assure lutter contre l’inconduite de la classe ouvrière et la ramener vers la religion. Le patron, qui accorde des avantages, s’octroie un droit de regard sur la vie privée de ses salariés. Ainsi regroupés, ils sont facilement surveillés.

Le discours religieux est permanent. Le patron prêche la morale, le besoin de discipline, l’amour du travail bien fait, l’obéissance… La pratique de la religion catholique est quasiment obligatoire et les ouvriers sont incités à la pratiquer. On sait qu’au Creusot, Madame Schneider offrait 100 kg de pommes de terre, la moitié d’un porc et la somme de 100 F à chaque ouvrier qui se convertissait à la religion catholique.

L’entreprise paternaliste assure une large emprise sur ses ouvriers et leurs familles. Tout lui appartient : l’usine ou la mine, les logements, les commerces, le lavoir, l’école, l’hôpital, l’église… Les loisirs également dépendent de l’entreprise : le sport, la musique, la salle des fêtes, la bibliothèque… Les spectacles qui sont donnés, les livres accessibles… tout est choisi en fonction de l’idéologie dominante. Il existe une caisse de prévoyance qui règle les dépenses médicales et pharmaceutiques, grâce à un prélèvement sur les salaires. Des indemnités sont accordées pour les journées non travaillées pour maladie ou invalidité. Ces indemnités – le tiers du salaire au maximum – peuvent être améliorées par le bureau de Bienfaisance. Mais, ces aides sont attribuées en fonction de la bonne conduite du malade.

Dans certains cas, comme au Creusot, une retraite, peu importante, est octroyée aux anciens, s’ils sont de nationalité française. Pour augmenter la dépendance, un système de crédit a été mis au point dans les commerces. Les sommes dues sont directement retenues sur les salaires. Les ouvriers doivent être fiers de leur entreprise. On les encadre en offrant des satisfactions : médailles, diplômes, primes et, pour un nombre très limité, la possibilité d’accéder à un statut supérieur. On tente de créer une émulation en organisant des concours : l’appartement le mieux tenu, la maison la plus fleurie, le plus beau jardin… Les différents aspects de la vie de chacun n’échappent pas au patron qui, en outre, est généralement le maire et souvent le député. Tout est encadré, contrôlé par l’entreprise : la crèche, l’école, le centre d’apprentissage, le travail, les loisirs… de la naissance à la mort.

Le paternalisme s’est développé dans les grandes entreprises textiles ou métallurgiques et les mines. Le complexe industriel Schneider du Creusot – qui comprend des mines de charbon et de minerai de fer, un centre sidérurgique et des ateliers de mécaniques – avec ses 10 000 ouvriers dans les années 1860, est sans doute l’exemple le plus achevé.

Dans notre région, on retrouve les mines de la Grand-Combe et l’usine Solvay à Salin-de-Giraud. Dans ce système, la carotte dissimule à peine le bâton. En cas de conflit, l’armée occupe le site et emprisonne les “meneurs”. Lorsqu’un ouvrier est repéré comme “meneur”, toute sa famille, même éloignée, perd son emploi et son logement. En cas de grève, tout le personnel peut être mis en demeure de quitter les lieux. C’est ce qui s’est passé en Camargue, à Salin-de-Giraud, en mars 1906. Au bout d’un mois et demi de grève pour les salaires, la journée de travail et les loyers, les 1200 à 1300 habitants de la cité Solvay perdent leur travail et leur logis et, munis d’un bon de transport, ils sont conduits sous escorte militaire à la gare.

Raymond BIZOT